Médecine traditionnelle

Les infections cutanées

Les furoncles
Dans le Nord québécois, les furoncles font plus que tout autre affliction l’objet de l’invention, de l’élaboration et de la discussion de nouveaux traitements. Cela s’explique aisément du fait qu’ils étaient autrefois très répandus et potentiellement dangereux. Selon un Inuk, « les furoncles étaient jadis fort répandus parce que les gens étaient en meilleure santé, moins souvent malades qu’ils ne le sont aujourd’hui. » Ainsi pensaient-on que les furoncles se substituaient aux afflictions morales. Peut-être les Inuits avaient-ils l’esprit plus tranquille ? Quoi qu’il en soit, on prenait ces infections très au sérieux car un furoncle non soigné peut « dévorer » la chair ou laisser une cicatrice. Il peut aussi « éclater » vers l’intérieur, auquel cas le malade mourra vraisemblablement en trois ou quatre jours (pas de traitement connu) ; s’il éclate vers l’extérieur, la guérison sera très longue. S’il est mal soigné ou qu’on tente de l’ouvrir trop tôt, ou trop tard, on dit du furoncle rouge et enflé qu’il est « en colère ».

On trouve généralement deux types de furoncles : l’un comporte un bourbillon (arjuaq), l’autre pas (paagangiruk). Tous deux sont traités selon diverses méthodes pour en provoquer la suppuration. Le plus souvent, on se sert de peaux d’animaux. Les peaux sont séchées, perforées (pour permettre la succion), mouillées, puis appliquées sur le furoncle. Ces suppuratifs collent apparemment à la peau comme « le ruban gommé adhère au papier ». Les peaux de lemming sont le plus efficace et le plus populaire. L’animal doit être tué en été. On en pèle la couche interne de la peau et on choisit la partie qui convient le mieux. Certains préfèrent la peau du dos, d’autres celle du ventre, et d’autres enfin, celle de la patte avant droite. On la découpe en petits morceaux, et chaque jour, on en place un nouveau sur le furoncle. Lorsque le furoncle suppure, les poils de l’emplâtre de lemming se dressent. Le cas échéant, on substitue à la peau de lemming une peau de lièvre, de rat musqué, de belette ou de renard. On dit que la peau provenant du ventre ou du côté d’un jeune chien est très efficace, comme le peuvent être aussi la peau de la cuisse de lagopède ou les parties les plus minces de la peau d’un caribou (l’aisselle, l’intérieur de la patte).

D’autres substances peuvent aussi servir à provoquer la suppuration d’un furoncle : on se sert parfois d’un onguent fait d’un mélange de thé du Labrador et de graisse de phoque cuite, ou de viande crue (poitrine de lagopède, caribou ou poisson) ou encore de graisse mâchée et de rognons de caribou. Un tendon prélevé près de l’épine dorsale d’un caribou se révélera un remède efficace, mais pénible. On utilisera encore la couche interne de l’écorce d’un mélèze (pingi) ou d’un pin, bien qu’il faille d’abord la faire bouillir et la pulvériser. Des algues d’eau douce (agayat ou pirgapiat) ou même des excréments de chiens enrobés dans une peau de caribou puis dans un linge se révéleront aussi utiles dans le traitement des furoncles.

Lorsque le furoncle suppure, on doit l’opérer. C’est d’ailleurs le seul traitement connu du Nord québécois qui implique une opération. Les chirurgiens sont des gens particuliers, spécialistes autant qu’on peut l’être dans la société inuite, pas vraiment formés, mais possédant un talent inné. Au besoin, on les appelle et ils viennent de loin traiter les patients « à la maison ». On raconte que le patient « teste l’habileté du chirurgien. S’il inflige de la douleur, il est mauvais ; un bon chirurgien doit avoir la manière ». Le scalpel du chirurgien est un objet particulier. Sculpté dans le fémur d’un caribou, il constitue une possession précieuse qu’on emporte soigneusement dans ses déplacements. L’extrémité aplatie est plus large que le reste de la lame, dont on vérifie le tranchant sur une peau de lièvre. On doit pouvoir couper un cheveu avec cette lame, car la peau humaine est dure, surtout lorsqu’on est tendu. Avant de s’en servir, on la passe à la flamme, puis on l’essuie avec des herbes ou une peau de lagopède.

L’opération prend place sans anesthésique — il n’en existe pas dans le Nord à cette époque — mais on fait prendre au patient une infusion de thé du Labrador pour le calmer. Pour déterminer l’endroit précis de l’incision, on verse un peu d’eau qui sèche plus rapidement au centre du bourbillon ; parfois, le chirurgien lèche la peau pour trouver l’emplacement exact de ce dernier puisqu’il peut ainsi sentir le pouls du patient et une certaine froidure au centre du bourbillon. Il coupe alors la peau, souvent en forme de Y afin d’empêcher qu’elle ne guérisse avant la chair, et le furoncle est prêt à être drainé.

On doit drainer tout le pus en une seule fois, sinon le furoncle ne fera que se « déplacer » dans une autre partie du corps. Chaque personne présente teste la solidité de ses cheveux, et le cheveu le plus fort est attaché au centre du bourbillon pour le faire sortir. C’est un lent processus qui exige beaucoup de précision. En même temps que du cheveu, on se sert d’une « paille » faite d’un os évidé d’aile d’oie, ou de fines pinces en bois ou en défense de morse. Si le cheveu se casse avant la fin du travail, tout est à recommencer à partir de la peau de lemming. Si le pus ne sort pas uniformément, une plume d’oie sert à le repousser dans la cavité avant de faire une autre tentative.

Lorsque le pus est drainé, on doit « exorciser » le bourbillon ; on l’enveloppe dans un linge, on l’écrase avec un marteau puis on le jette au feu, ou encore on le met, au-dehors, dans des excréments humains ou dans le fèces d’un chien. Cet exorcisme permettra au patient de ne pas avoir de furoncle pendant longtemps.

Une fois le furoncle drainé, on nettoie souvent la plaie en y appliquant une autre peau de lemming ou en plaçant des asticots (provenant de la viande et non d’ordures) dans la cavité, ceux-ci nettoieront alors le pus résiduel. On frotte la lésion de graisse de chien pour que la peau ne guérisse pas avant que la couche plus profonde de la chair n’ait eu le temps de se reformer.

Les coupures
On doit d’abord arrêter l’effusion du sang en attachant un tourniquet entre la coupure et le coeur, si c’est possible ; on peut aussi laver la coupure avec de l’urine humaine. Ce procédé nettoie bien dit-on : « Vous pouvez mettre de l’eau sur votre coupure et vous ne sentirez rien. De l’urine par contre, ça brûle, et vous le sentez. » Il faut prendre garde de ne pas laisser de l’eau salée s’infiltrer dans la coupure car cela peut entraîner l’infection.

Il faut ensuite aider la chair et la peau à guérir. Pour cela, on utilise souvent de la graisse d’animal, qu’il s’agisse de la graisse d’un phoque (graisse crue ou rance mêlée à du duvet de lagopède), d’un caribou (la meilleure graisse est celle des rognons), d’une loutre ou d’un oiseau (harfang, oie ou lagopède). On pourra se servir de nombreuses substances, notamment : de la gomme de pin mâchée, aplatie et placée sur la coupure, ou la couche interne de l’écorce de mélèze bouillie. On déchiquette du maniq séché (une mousse) ou des bulbes de champignons qui servent à faire sécher la coupure. Des algues d’eau douce (agayaqlpirqapiat) la nettoient et la gardent humide au besoin. La peau du ventre d’un omble chevalier peut accélérer la guérison tout comme le peut la substance gommeuse provenant des poux de morue que l’on aplatit et dont on enduit la peau endommagée.

Voici deux types de traitements pour les coupures. Le premier consiste à appliquer de la graisse de phoque ou de caribou mâchée pour aider à enrayer l’épanchement. On applique ensuite une mince tranche de viande du même animal pendant quelques jours pour garder la coupure humide et accélérer la guérison. Le second procédé utilise des algues pour nettoyer et humidifier la lésion, puis le maniq déchiqueté sèche la plaie et l’aide à guérir.

Une coupure particulièrement profonde doit être fermée avec des points de suture. Les aiguilles sont faites d’os ou de bois de caribou, et le fil, de tendons de caribou ou de béluga. Les points tombent éventuellement d’eux-mêmes.

Après avoir traité la coupure, on la protège d’un pansement fait de peau de caribou ou de lagopède.

Les engelures
Les engelures affectent habituellement les extrémités du corps (les pieds, les mains, le visage) et sont souvent causées par le port de vêtements trop serrés ou trop humides. On peut les prévenir en lavant la partie affectée dans la neige, mais s’il est trop tard, il faut prendre grand soin ; on ne doit pas, par exemple, se frotter les joues de la main si elles sont gelées pour éviter des complications, telle l’infection.

On soigne les engelures en les plongeant dans de l’eau glacée (l’eau salée est recommandée) ou de l’urine froide ce qui aide à prévenir l’infection. Si des glaçons commencent à se former sur la peau, cela signifie que le membre gelé se réchauffe à partir de l’intérieur, et c’est bon signe. Plongé dans de l’eau chaude, le membre dégèlera à partir de l’extérieur, chose à éviter à cause du danger de la gangrène. Laissée sans soin, une engelure s’infectera ; on laisse alors le pus se drainer de lui-même. Frotter l’engelure avec des excréments de chien encore chauds aide à faire dégeler la peau et à prévenir l’infection.

Une fois dégelée la partie affectée, on applique de la graisse crue d’animal (de préférence du phoque) des mousses ou des champignons hachés pour accélérer la guérison de la peau.

Les brûlures
La meilleure chose à faire pour soulager une brûlure est de l’enduire de graisse d’animal, habituellement celle du phoque, ou à défaut, celle du caribou ou du canard. D’autres procédés exigent l’application, directement sur la peau, de minces tranches de viande crue de caribou ou de lagopède, d’algues, ou de gomme de pin mâchée. On peut recouvrir la brûlure d’une peau séchée provenant du cou d’un lagopède.

Autres infections cutanées
On utilise de préférence la graisse d’animal pour les infections cutanées, dont la plus répandue est l’impétigo. On se sert alors de graisse de phoque, d’ours blanc, de renard ou de harfang, mais on peut aussi utiliser les excréments d’un chien. On dit que l’impétigo peut guérir très rapidement si l’on enduit la peau de graisse de phoque barbu par une journée ensoleillée.

Pour les infections de nature plus générale, on emploie des algues d’eau douce, une infusion de cônes de pin, ou le fluide verdâtre et amer provenant de la vessie d’un animal, de préférence celle d’un phoque. Par ailleurs, la graisse d’ours blanc constitue un bon tonique pour les cheveux ; on s’en sert contre la calvitie.

Les verrues
L’huile provenant de la tige d’aigrettes de l’Arctique (supu tiklsuputauyak) cueillies au printemps peut se révéler efficace contre les verrues. On les soigne aussi parfois avec de la graisse de chien. Il arrive que l’on coupe les grosses verrues avec un cheveu, mais il faut s’y prendre à plusieurs reprises.