Archéologie

Chronologie de l'Arctique

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Chronologie culturelle de l’Arctique nord américain et groenlandais.
À quelques exceptions près, ce tableau concerne essentiellement les groupes culturels paléoesquimaux et néoesquimaux. Des versions préliminaires ont bénéficié des commentaires de Max Friesen, Owen Mason et Mikkel Sørensen que nous remercions. La version finale de ce tableau établite par les archéologues d’Avataq et ne réflète pas nécessairement l’appréciation de ces derniers. Selon Desrosiers (2009), la situation dans le Bas Arctique au Nunavut et dans la région centrale et nord du Labrador, devrait être représenté d’une façon similaire au Nunavik en ce qui concerne la fin du Paléoesquimau ancien et le début du Paléoesquimau récent. Selon Grønnow and Sørensen (2006), le Greenlandic Dorset est associé au Paléoesquimau récent. Toujours selon eux, la région « North Water » du Haut Arctique a été occupée par différents groupes entre 2500 BC et 0 BC : Independence I, Predorsétien, Saqqaq et Prédorsétien récent/ « Transitional Canadian Dorset » et Greenlandic Dorset. Ils suggèrent que l’Independence I devrait être placé entre 2500 BC et 1900 BC.

Pour citer ce document :

Institut culturel Avataq, 2015, Chronologie de l’Arctique, 
source :
http://www.avataq.qc.ca/fr/L-institut/Departements/Archeologie/Decouvrir-l-archeologie/Chronologie-de-l-Arctique

 

Paléoesquimau et Néoesquimau

Les termes « Paléoesquimau (Paleo-Eskimo) » et « Néoesquimau (Neo-Eskimo) » ont été introduits par Steensby il y a près d’un siècle pour aborder la question de l’origine des Inuits selon une stratification particulière. Steensby définissait alors les Paléoesquimaux comme un groupe amérindien originaire des Barren Grounds (région centrale du Sub-Arctique canadien) qui se serait progressivement adapté à la côte arctique dans la région du golfe Coronation. Ce groupe aurait ensuite migré vers l’est, jusqu’au Groenland, et vers l’ouest, jusqu’en Alaska. Arrivés dans l’Ouest, les Paléoesquimaux auraient été influencés par des groupes asiatiques et se seraient transformés en Néoesquimaux, principalement orientés vers les ressources côtières. Le choix des préfixes « Paléo » et « Néo » est calqué sur l’utilisation des termes Paléolithique (Âge de la pierre taillée) et Néolithique (Âge de la pierre polie) dans la préhistoire d’Europe.

Aujourd’hui, le Paléoesquimau regroupe un ensemble de cultures anciennes de l’Arctique de l’Est : Prédorsétien, Saqqaq, Independence I, Independence II, Groswater et Dorsétien. Ces cultures précèdent le Néoesquimau qui, lui, ne vise qu’une seule culture, le Thuléen et leurs descendants immédiats, les Inuits. La théorie généralement acceptée est celle du peuplement initial de l’Arctique par les Paléoesquimaux qui se sont développés dans la région de la Sibérie orientale et sur les côtes de l’Alaska avant de migrer d’ouest en est dans l’Arctique, de l’Alaska jusqu’au Groenland vers 4500 ans avant aujourd’hui (AA). Les Néoesquimaux se seraient aussi développés dans ces mêmes régions côtières avant de migrer vers l’est de l’Arctique, il y a un peu moins de mille ans, remplaçant les populations paléoesquimaudes. Les implications de ce remplacement font l’objet depuis plusieurs années d’un débat vigoureux entre archéologues. Certains croient que les Thuléens ont vécu en parallèle avec les Dorsétiens assimilant éventuellement cette population ; d’autres croient, au contraire, que les deux groupes ne se sont jamais rencontrés, les Dorsétiens ayant disparu du territoire plusieurs décennies avant l’arrivée des Thuléens. De toute évidence, ce débat va se poursuivre !. Le Néoesquimau est considéré par les archéologues comme une culture en parfaite continuité avec les Inuits qui peuplent aujourd’hui l’Arctique, de l’Alaska au Groenland.

Le Paléoesquimau se subdivise en Paléoesquimau ancien et Paléoesquimau récent. Le Paléoesquimau ancien inclut dans l’Arctique de l’Est les cultures archéologiques suivantes : Prédorsétien, Saqqaq, Independence I, Independence II et Groswater et le Dorsétien ancien qui, au Nunavik à tout le moins, correspond à la fin de l’occupation paléoesquimaude ancienne (i.e., l’équivalent du Groswater labradorien ou des sites Independence II dans le Haut Arctique). Dans l’Ouest, la culture Denbigh est plus ou moins contemporaine du Paléoesquimau ancien. Ces groupes sont assurément liés, mais la filiation avec l’Alaska est, pour l’instant, difficile à établir avec précision. On assume depuis longtemps que les Paléoesquimaux anciens proviennent de l’Alaska et que le Denbigh est l’un des ancêtres présumés. Quant à lui, le Paléoesquimau récent ne comprend qu’une seule manifestation culturelle : le Dorsétien. Par ailleurs, les liens entre cette dernière culture et les précédentes sont à redéfinir dans plusieurs régions de l’Arctique de l’Est. L’hypothèse conventionnelle voulant que les Dorsétiens soient issus directement des populations anciennes du Paléoesquimau n’est plus nécessairement exacte.

D’après l’archéologie, les Paléoesquimaux anciens et récents se caractérisent par une technologie incluant principalement la taille des roches dures (chert, quartz, quartzite et autres) transformées en pointes de projectiles et différents outils de rainurage ou de découpe. Ils se caractérisent aussi par le travail des matériaux organiques, tels l’ivoire, l’os et le bois, transformés en manches d’outils ou de projectiles, en têtes de harpon, ou en petits outils comme des aiguilles. Outre les outils, le travail des matières organiques visait aussi à fabriquer, surtout pendant le Dorsétien, des objets représentant des figures humaines ou animales caractérisées, entre autres, par des motifs à rayon X (i.e., qui reproduit le squelette du sujet à la surface de l’objet) et dont la fonction inconnue est souvent présumée d’origine chamanique. Les Paléoesquimaux anciens ont aussi produits des objets dits chamaniques, mais jamais à l’échelle dorsétienne alors que cette forme d’expression atteint son apogée.

Leur subsistance principale est passée des mammifères terrestres au Paléoesquimau ancien (comme le caribou dans les régions sud et le bœuf musqué dans les régions nord) vers une exploitation essentiellement axée sur les ressources marines au Paléoesquimau récent. Ces préférences alimentaires ne signifient pas pour autant qu’ils n’acceptaient pas de capturer d’autres catégories d’animaux lorsque ceux-ci étaient disponibles.

Pour se déplacer, les Paléoesquimaux anciens possédaient des embarcations similaires au kayak, et la présence de restes de chiens sur certains sites laisse supposer qu’ils pouvaient utiliser ceux-ci pour le transport hivernal. On présume souvent qu’au Paléoesquimau récent les Dorsétiens ont abandonné tous les moyens de transport usuels sans les remplacer par quelque nouveau mode. Malgré cette position traditionnelle en archéologie arctique, il y a lieu de se demander si la présence de pièces de petits traîneaux sur des sites dorsétiens ne vient pas contredire partiellement cette hypothèse. (texte : P. M. Desrosiers et Daniel Gendron)

La Tradition microlithique de l’Arctique

La théorie de la Tradition microlithique de l’Arctique a été proposée à la fin des années 1950. Auparavant, seul le Dorsétien avait été reconnu comme culture plus ancienne que le Thuléen. La découverte de burin taillé de l’Alaska jusqu’au Groenland, en même temps que le développement des méthodes radiométriques, a permis aux archéologues de définir progressivement l’existence de différentes cultures plus anciennes que le Dorsétien, notamment le Prédorsétien, le Saqqaq, l’Independence, le Denbigh (Alaska) et le Groswater. Ces cultures, qui comportent des outils, comme le burin taillé, seraient désormais regroupées ensembles sous l’appellation de Tradition microlithique de l’Arctique. Toutefois, en raison des données recueillies ces dernières années tant dans l’Arctique de l’Est que dans l’Ouest, il convient d’évaluer la pertinence de cette soi-disant tradition ou à tout le moins de mettre à jour sa définition (texte : P. M. Desrosiers et Daniel Gendron)

Le Prédorsétien

Le terme Prédorsétien a été utilisé pour la première fois par Henry Collins en 1954 pour désigner toutes les cultures ayant précédé le Dorsétien dans l’Arctique de l’Est. Aujourd’hui le Prédorsétien désigne à la fois la culture ayant précédé le Dorsétien principalement dans le Bas-Arctique au Nunavut, au Nunavik et au Labrador et est utilisé aussi de façon générique pour englober toutes les manifestations anciennes de l’Arctique de l’Est (Independence dans l’extrême nord, Saqqaq au centre-ouest du Groenland). Au Nunavik, il couvre une période s’échelonnant de 3800 AA à 2500 AA. Ailleurs dans l’Arctique de l’Est le début de cette période peut remonter jusqu’à 4500 ans.

Les chercheurs ne s’entendent pas tous sur la définition des subdivisions du Prédorsétien. Gendron et Pinard (2000) ont suggéré de subdiviser le Prédorsétien au Nunavik en Prédorsétien ancien, moyen, récent et terminal.

Le Prédorsétien se caractérise par un outillage microlithique soigné incluant des burins, des petites pointes finement façonnées, des perçoirs, des lames latérales semi-circulaires façonnées, des racloirs et des microlames retouchées.

Les structures d’habitation associées à cette période sont souvent de formes bilobées et incluent des aménagements axiaux. Les Prédorsétiens ont aussi exploité les champs de blocs pour construire des maisons semi-souterraines. Certains de ces sites peuvent comporter plus de 200 de ces structures.

Au Nunavik, les Prédorsétiens chassaient surtout le caribou et d’autres espèces terrestres, mais aussi certains mammifères marins, et pêchaient probablement des poissons et cueillaient différentes espèces végétales. (texte : P. M. Desrosiers et Daniel Gendron)

Le Dorsétien

L’expression « Cape Dorset Culture » a été utilisée pour la première fois par Jenness en 1925. Après l’étude de collections mélangées provenant principalement du détroit d’Hudson, dont Cape Dorset sur l’île de Baffin, Jenness concluait à l’existence d’une culture plus ancienne que la culture thuléenne. Cela sera longtemps contesté par certains chercheurs, même si l’ancienneté des cultures arctiques avait déjà été reconnue au Groenland au début du XIXe siècle.

Aujourd’hui, nous utilisons le terme Dorsétien pour désigner une culture qui, selon l’hypothèse commune mais contestée de nos jours, se serait développée quelque part dans le bassin de Fox, issue du développement in situ de la culture prédorsétienne. Cette culture est surtout présente dans le Bas-Arctique au Nunavut, au Nunavik, au Labrador et à Terre-Neuve.

Dans les années 1950, les archéologues ont proposé l’existence d’un Proto-Dorsétien, qui sera ensuite appelé Dorsétien ancien, sur la base de l’étude de sites dans la région d’Igloolik, de l’île Southampton et du site de Tayara à Salluit. Les phases moyenne, récente et terminale seront ensuite ajoutées aux subdivisions du Dorsétien. Au Nunavik, le Dorsétien ancien qui correspond chronologiquement au Dorsétien moyen, marque le début de l’ère paléoesquimaude récente (Desrosiers, et al. 2006). Afin d’éviter la confusion des termes, nous parlons maintenant du Dorsétien classique. Par ailleurs, le concept de Dorsétien ancien, qui était encore en usage au Nunavik il n’y a pas très longtemps pour désigner certains sites d’apparence plus ancienne, est maintenant considéré plutôt comme le dernier représentant de la période paléoesquimaude ancienne.

Le Dorsétien se caractérise par un outillage majoritairement microlithique et l’utilisation de matières premières diversifiées transformées par la taille, l’abrasion et le rainurage. Cet outillage inclus des pointes triangulaires à base droite ou concave, des pseudo-burins, des grattoirs, des racloirs semi-circulaires, des herminettes, des microlames à soie et différents types de pointes et de lames en schiste. La bonne préservation de certains sites dorsétiens a aussi permis de connaître l’industrie des matières organiques (os, andouiller, ivoire et bois) ainsi que les différents aspects des représentations figuratives dorsétiennes. Celles-ci sont souvent caractérisées par des figurines animalières, humaines ou représentant parfois un mélange homme-animal, fréquemment décorées de motifs à rayon X. Parmi les outils en matière organique se trouvent des têtes de harpon, des pointes à barbelures, des couteaux à neige, des patins de traîneau, des crampons à neige et bien d’autres objets. Les habitations dorsétiennes sont surtout de petites structures attestant d’un emplacement de tente qui inclut le plus souvent des aménagements axiaux, mais on trouve aussi des structures creusées, probablement des habitations d’hiver, ainsi que des structures apparentées à celles des maisons longues. En général, ces dernières sont associées à des périodes de rencontres pendant lesquelles des familles dorsétiennes vivaient durant un certain temps sous un même toit.

Au Nunavik, les Dorsétiens chassaient les mammifères marins, sauf les grandes baleines, les petits mammifères terrestres ainsi que le caribou et des oiseaux migrateurs ; ils pêchaient des poissons et cueillaient différentes espèces végétales.

Enfin, certaines légendes inuites évoquent les Tuniit, qui auraient précédé l’arrivée des Inuits dans l’Arctique. Il est probable que cette tradition orale relate la rencontre entre les Thuléens et les Dorsétiens, il y a plus de 700 ans au Nunavik. (texte : P. M. Desrosiers et Daniel Gendron)

Le Thuléen

Les chercheurs danois sont les premiers à avoir étudié et défini cette culture à l’occasion d’une importante expédition scientifique dans les années 1920. Cette expédition, « The Fifth Thule Expedition », a traversé durant plusieurs années l’Arctique du Groenland à l’Alaska. Le nom Thule origine de la région qui porte le même nom dans le nord du Groenland, où les recherches ont débuté.

Le Thuléen est une culture archéologique liée aux ancêtres directs des Inuit actuels. La culture thuléenne est présente dans presque toutes les régions de l’Arctique nord-américain et groenlandais. Les Thuléens sont arrivés au Nunavik il y a environ 700 ou 800 ans avant aujourd’hui, amenant avec eux une nouvelle technologie très différente de celle des Dorsétiens. Les archéologues désignent habituellement la culture thuléenne jusqu’à la période de contact avec les Européens. Bien que cela serve aujourd’hui à différencier la culture archéologique et décrite par les traditions orales, de la culture historique (documentée par écrit), il est aussi juste de parler de la culture inuite pour désigner la culture thuléenne.

La culture thuléenne se caractérise par un outillage plus volumineux que le paléoesquimau. Des pierres tendres comme le schiste ainsi que parfois des pierres dures ont été taillées, rainurées et abrasées de manière à produire différents outils dont des pointes pour les têtes de harpons, des lame semi-circulaires pour le couteau des femmes (ulu) ou d’autres lames pointues pour les couteaux des hommes (savituinnaq). La technologie des thuléens est très diversifiée et ingénieuse autant pour les matières lithiques qu’organiques. Pour se déplacer les thuléens possédaient de grandes embarcations, l’umiak, et des traineaux à chiens. Comme habitation c’est surtout les structures semi-souterraines avec tunnel d’entrée qui ont attirées l’attention des premiers archéologues de l’Arctique. Une des principales caractéristiques des thuléens est leur capacité de chasser les grandes baleines, même si leur subsistance était aussi orientée sur les plus petits mammifères marins et terrestres ainsi que les oiseaux migrateurs, sans oublier la pêche avec hameçon, filet ou fouëne, la collectes des œufs de différentes espèces et celle des petits fruits, des plantes médicinales ainsi que des fruits de mer (moule, crabe et autres). (texte : P. M. Desrosiers)

Historique

La période historique correspond aux premiers contacts avec les Européens et Euro-canadiens. Elle est essentiellement liée à l’installation des postes de traites. Le premier poste au Nunavik fut installé au lac Guillaume-Delisle en 1750. C’est cependant dans les années 1800 que les postes de traites vont progressivement commencer à avoir une influence sur le mode de vie des Inuits. Finalement ce n’est que tout récemment, dans les années 1950, que les Inuits vont définitivement abandonner le mode de vie nomade. (texte : P. M. Desrosiers)